Conférence OMEP-France : Développer l’Esprit critique dès le plus jeune âge

Non Par Daniele

 

Arriver au lycée Jean ZAY, ex-Foyer des Lycéennes de Paris, dans le grand salon très éclairé engendrait déjà un sentiment de bonne augure… La conférence « Développer l’esprit critique dès le plus jeune âge : approches scientifique et philosophique » qui s’y déroula le 6 décembre 2017 ne nous détrompa nullement.

Après les mots d’accueil, la présentation de l’OMEP et de ses grands objectifs mondiaux par la présidente OMEP-France, Danièle PERRUCHON, la parole fut donnée successivement aux deux intervenantes Gabrielle ZIMMERMANN, docteur en biologie, membre de la Fondation La main à la pâte (Annexe 1) et à Geneviève CHAMBARD, enseignante d’école primaire, directrice honoraire d’école d’application et formatrice honoraire à l’IUFM de Créteil (94), membre de l’AGSAS (Annexe 4), formatrice aux Ateliers de Philosophie AGSAS, membre de la Chaire UNESCO : « Pratiquer la Philosophie avec les enfants : une base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation sociale » et co-auteur avec Jacques LEVINE de « L’Enfant philosophe, avenir de l’humanité ? »

 

Introduction par Danièle PERRUCHON, Présidente OMEP-France

La présidente du comité français de l’OMEP, Organisation Mondiale pour l’Education Préscolaire, nous accueille dans le Grand Salon du lycée Jean Zay.

L’OMEP est une organisation bénévole, internationale, non gouvernementale, à but non lucratif qui concentre son action sur les enfants de la naissance à l’âge de 8 ans.

Fondée en 1948, cette ONG défend et promeut les droits des enfants à l’éducation et aux soins dans le monde entier. Elle soutient les activités qui améliorent l’accès à une éducation et des soins de grande qualité.

L’OMEP a obtenu le Statut Consultatif Spécial à l’ONU et à l’UNESCO.  Elle est partenaires avec toutes les organisations mondiales et internationales qui s’occupent de l’éducation et du bien-être des enfants.

Elle est actuellement présente dans plus de 70 pays.

 

Le sujet abordé aujourd’hui « Développer l’esprit critique dès le plus jeune âge » est devenu l’une des priorités de l’Education Nationale.

Extrait de la circulaire de rentrée 2017 du ministère de l’Education nationale :

« Présent dans de nombreux programmes d’enseignement, le développement de l’esprit critique chez les élèves, adossé au travail de formation au décryptage du réel et à la construction, progressive, d’un esprit éclairé, autonome et critique, est une ambition majeure de l’École. »

Pour le système d’enseignement public en France, développer l’esprit critique est devenu un enjeu majeur à l’ère numérique, une priorité face à la transformation du rapport au savoir des élèves sous l’effet de l’accès à Internet.

Construire une pensée critique implique une posture intellectuelle nécessitant curiosité et distanciation, face au monde qui nous entoure.

En France, le domaine 3 du socle commun de connaissances, de compétences et de culture place les démarches argumentatives au cœur de la formation de la personne et du citoyen pour la transmission de valeurs fondamentales et de principes inscrits dans la constitution.

Acquérir la capacité de juger par soi-même, développer un sentiment d’appartenance à la société, participer activement à l’amélioration de la vie commune sont des objectifs que l’École a pour mission d’enseigner.

L’esprit critique est à la fois un état d’esprit et un ensemble de pratiques qui se nourrissent mutuellement. Il n’est jamais un acquis mais toujours une exigence à actualiser. Il nait et se renforce par des pratiques dans un progrès continuel. On ne peut jamais prétendre le posséder parfaitement et en tous domaines mais on doit toujours chercher à l’accroitre.

Le Socle Commun définit l’esprit critique comme l’appréhension de la distinction entre le prouvé, le probable ou l’incertain, la prédiction et la prévision, et la possibilité de situer un résultat ou une information dans son contexte.

 

Comment travailler ces attitudes avec les élèves, de façon pluridisciplinaire ?

Gabrielle ZIMMERMANN présente l’approche scientifique (Annexe 2) à partir du module La main à la pâte « Esprit scientifique, Esprit critique » dont elle est co-auteure (Annexe 3) et qui a une double vocation : guider les élèves vers une réflexion sur les sciences, leur nature, leurs convergences de méthodes et de raisonnement au gré de la variété des disciplines, ainsi que leurs enjeux et faire le lien avec les modalités de pensée permettant de nous forger un avis pertinent sur le monde au quotidien, et ainsi cheminer vers cette pensée critique.

Geneviève CHAMBARD présente (Annexe 5) le lien entre esprit critique et ateliers de philosophie à partir du film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine » pour développer l’activité de pensée (Annexes 6 et 7).

« Provoquer chez l’enfant le goût philosophique, c’est à dire le plaisir de sortir de l’opinion toute faite, des croyances ou encore de l’acceptation sans réflexion de toute donnée supposée vraie, en fonction de la source émettrice, paraît indispensable dans le monde actuel où chacun est pris dans un tourbillon d’informations.

Dans les Ateliers de Philosophie AGSAS, les enfants dès l’âge de 5 ans s’engagent dans une activité de recherche groupale autour d’un mot inducteur qui interroge la Condition Humaine. C’est par la rencontre avec « l’Autrement que Prévu », dans le respect de toute pensée, que l’enfant (et le groupe) sera amené à s’interroger et à développer son esprit critique.

Afin que tous les enfants participent pleinement à ce travail de la pensée « à hauteur d’humanité » – ceux reconnus comme « bons élèves », comme ceux « empêchés de penser » parfois dominés par un « corps primaire » envahissant ou installés dans des postures de refus, – nous leur proposons de quitter leurs places habituelles et leurs groupes d’appartenance pour accepter le statut de sujet-personne du monde. Cela nécessite que l’animateur occupe – le temps de l’atelier – une place importante, sécurisante mais inhabituelle.

Cette activité de mise en mouvement de la pensée ne s’arrête pas à la fin de l’atelier mais se poursuit au fil du temps par des recherches de réponses aux interrogations qui ne manqueront pas d’advenir, recherche de plus en plus approfondie et de plus en plus scientifique au fil du temps.

Ces ateliers de philosophie s’adressent aussi bien aux enfants et adolescents d’âge scolaire qu’à tous. Ils présentent un intérêt tout particulier dans des secteurs où la pensée reste prisonnière de conditions de vie difficile. » (Geneviève CHAMBARD)

 

Résumé des échanges avec le public

Les questions du public ont porté sur l’impact de ces approches scientifique et philosophique pour développer l’esprit critique dès le plus jeune âge.

  • Sur le comportement des élèves

Le module « Esprit scientifique, esprit critique » a été publié en novembre 2017, il y a un mois ! On ne connait les retombées que par les enseignants qui ont participé aux tests d’élaboration et qui ont suivi leurs classes. Les élèves remobilisent effectivement cette démarche de questionnement d’argumentation, de confrontation de données dans d’autres cours.

En ce qui concerne les ateliers Philosophiques AGSAS, ils existent depuis 20 ans. Ils se sont déroulés au départ au sein des RASED puis dans les lycées professionnels et ensuite dans les lieux de rébellion (collèges, lycées, prisons, établissements de santé). Ils modifient le climat de la classe, les relations entre les élèves.

Ces ateliers sont très importants quand il y a beaucoup de violence (bagarres). Les enfants ne peuvent pas faire autrement car leur corps est trop tendu. Il faut apprendre à faire autrement, avec un recul de la pensée ; être capable de parler et différer la violence du comportement.

  • Sur l’expression des enfants

La Fondation La main à la pâte a développé un projet « Science et handicap » en partenariat avec l’INSHEA (Institut National Supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés). Quand les enseignants travaillent en science en mettant ensemble les enfants des classes ordinaires avec les enfants handicapés moteurs ou mentaux, ils constatent une bienveillance et une coopération des uns envers les autres ainsi qu’une amélioration de l’expression dans les 2 groupes.

D’après la publication « Apprendre à parler, apprendre à penser » (méthode Lipman), les « ateliers de discussion à visée philosophique » favoriseraient une meilleure acquisition du langage. Mais dans ces ateliers, les enfants doivent déjà en partie maitriser le langage…

Voir aussi : https://www.philotozzi.com/2011/03/439/  et la publication « Penser par soi-même » (Michel Tozzi).

Les plus petits (2 à 6 ans) pensent « par couple » (ex : joie/tristesse) ; l’argumentation accélère l’acquisition du langage et peut être développée dès le plus jeune âge. Par exemple la relation cause/conséquence peut être développée par l’image dès 4 ans.

Mais souvent on observe une confusion entre cause et conséquence. On le remarque dans le vocabulaire utilisé par les jeunes enfants : souvent « du coup » remplace « parce que » ou « donc ». Même les adultes inversent causes et effets ! Par exemple, ils utilisent « à cause de » à la place de « parce que », justement parce que le mot « cause » figure dans l’expression.

  • Sur l’attitude des parents

Quelquefois, l’école est confrontée aux réactions négatives des parents d’élèves vis-à-vis de l’organisation d’ateliers philosophiques par le RASED à l’école maternelle ou élémentaire.

Les parents ne sont pas d’accord car les enfants ont ensuite tendance à s’affirmer vis-à-vis d’eux. Ils demandent à connaître les thématiques et avoir les supports des séances.

Ces ateliers sont basés sur une pratique différente de ceux de l’AGSAS. Par exemple, il a été demandé à l’AGSAS d’organiser des ateliers pour les parents selon le même protocole utilisé avec les enfants. Les parents vivent ces ateliers, ce qui dédramatise et coupe court à toutes leurs représentations.

  • Sur la formation des enseignants

Pour le module « Esprit scientifique, esprit critique » il existe une formation en ligne, avec des films illustrant ce module. Les enseignants qui ont suivi cette formation reçoivent un questionnaire d’évaluation à 6 mois et à un an.

Il existe des formations aux ateliers de Philosophie AGSAS : voir http://agsas-ad.fr/ .

Il s’agit de réfléchir sur un sujet universel en tant que « personne du monde ». La parole est donnée par l’intermédiaire d’un bâton de parole. Une séance dure 10 mn ou 2 tours de parole.

Le débat est souhaité mais l’enseignant reste en retrait. Il n’y a pas d’attente : on peut avoir un débat terne ou pas de débat, il faut attendre qu’il vienne. On fait passer le bâton de parole à la demande mais un enfant qui ne souhaite pas s’exprimer ne parlera pas : « j’ai le bâton, j’ai le droit de l’avoir, même sans rien dire ». Il faut respecter ce que l’enfant souhaite.

Si on observe une parole déplacée, elle est reprise en synthèse. L’enseignant est garant du cadre et des valeurs, même s’il reste en dehors du débat.

  • Sur l’évaluation

Les mauvais résultats des élèves français aux enquêtes PIRLS et PISA sont évoqués.

PISA est basé sur un modèle anglo-saxon et ne reflète donc pas le modèle français. Cette enquête est faite au niveau d’une tranche d’âge, avec des tests et QCM, mais les élèves ne sont pas forcément dans la même classe. Il est difficile de transposer une démarche dans d’autres situations. Il faut apprendre à raisonner plutôt que d’imposer.

S’agit-il d’un refus d’alliance avec l’école ou de la passivité ? L’attitude est à modifier, il faut mettre autre chose en place pour trouver sa place et développer sa capacité à raisonner.

  • Sur les pratiques pédagogiques des enseignants

Quelles différences dans les pratiques des ateliers de langage et des ateliers philosophiques ?

Cette question fait suite au visionnage du film « Ce n’est qu’un début », lors d’une formation à l’animation d’ateliers de langage pour les jeunes enfants : http://www.cenestquundebut.com/le-film

Dans le cas de cette vidéo, l’équipe de réalisation a choisi un autre courant que celui de l’AGSAS mais les thèmes choisis peuvent être les mêmes.

Les attentes des enseignants sont basées sur leurs propres attentes de contenus (ex : être adulte) plutôt que dans la démarche utilisée par l’enfant (quelle place va-t-il prendre dans le groupe ?).

On observe des « silences de pensée », ils viennent tout seuls et ont un statut particulier : c’est une posture de concentration que l’on retrouve de 4 à 90 ans !

La réflexion sur la différence et le handicap est soulevée par l’AAEEH (Association d’Aide à l’Education de l’Enfant Handicapé).

Cette réflexion peut être proposée dans les ateliers après avoir abordé plusieurs autres thèmes ; ce n’est pas un prétexte pour régler un problème pour « personne du monde ».

Un exemple : l’USEP (Union Sportive de l’Enseignement du Premier Degré) a demandé la création d’ateliers « Remue-méninges » sur le handicap physique. La formation est indispensable ; le travail et le retour se font ensuite, ce qui permet le croisement des regards. L’empathie se met en place dans les ateliers.

L’EGPE (Ecole des grands parents Européens) cite le travail de Sophie Sakka, chercheuse en robotique à l’école Centrale de Nantes et présidente de « l’association Robots ! ». Dans le cadre de l’association Rob’Autism, elle utilise des robots Nao pour faciliter la communication entre autistes de façon très efficace. Voir vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Md-kZaKswf8 .

Le statut de l’erreur est ensuite évoqué : on a droit à l’erreur et on a du temps pour « élever son esprit ».  Il faut changer la pédagogie dans les classes pour induire une pensée diverse et accepter l’autre.

En classe, les situations les plus intéressantes pour mettre en œuvre le module « Esprit scientifique, esprit critique » sont celles où l’enseignant n’en sait pas plus que les élèves car il n’y a pas de réponse attendue donc une plus grande richesse des propositions.

Découvrir ensemble, observer, noter, mesurer, mettre en mot, écrire… « être citoyen du monde » permet d’exister, de prendre en compte les erreurs, d’écouter et de respecter l’autre : « j’apprends ».

L’enfant est « un interlocuteur valable ».

En conclusion, en référence à Albert JACQUARD (Petite philosophie à l’usage des non-philosophes) : il faut « devenir celui que l’on a choisi d’être ».

Article rédigé par Danièle PERRUCHON assistée de Lisbeth GOUIN

 

ANNEXES

Annexe 1 : Présentation de la Fondation La main à la Pâte  www.fondation-lamap.org

La Fondation a été créée en 2011 par l’Académie des sciences, les Ecoles normales supérieures de Paris et de Lyon, dans la continuité de l’opération La main à la pâte initiée par le prix Nobel Georges CHARPAK en 1995.

La Fondation La main à la pâte est un laboratoire d’idées et de pratiques innovantes cherchant à améliorer la qualité de l’enseignement des sciences à l’école et au collège. Elle propose des aides variées aux professeurs de France et d’ailleurs, pour faire découvrir à leurs élèves une science vivante et accessible, favorisant par des pédagogies actives, la compréhension des grands enjeux du 21e siècle, le goût pour la science, le vivre ensemble et l’égalité des chances, tout en stimulant les capacités d’expression.

Annexe 2 : diaporama de Gabrielle ZIMMERMANN

Annexe 3 : Module « Esprit Scientifique, Esprit critique » consultable en ligne sur le site de la Fondation La main à la pâte : http://www.fondation-lamap.org/esprit-scientifique

Annexe 4 : Présentation de l’AGSAS, Association des Groupes de Soutien au Soutien

http://agsas-ad.fr/

L’AGSAS constitue un espace de rencontre, de dialogue, et de travail en commun, à égalité, dans le respect des statuts de chacun, entre des analystes soucieux du devenir des enfants, et des enseignants, éducateurs, pédagogues, inquiets devant l’évolution du climat scolaire actuel, conscients des souffrances causées par la violence et l’échec scolaires.

L’AGSAS est ouverte à toute personne qui, à titre personnel ou professionnel, se sent concernée par les problèmes de l’enfance et de l’adolescence, qu’il s’agisse de scolarité ou d’éducation de manière plus générale.

L’AGSAS propose quatre types d’activités : des groupes d’analyse de pratique professionnelle, dits de « Soutien au Soutien », ou Balint-enseignant ; des formations, des ateliers de Philosophie AGSAS, des ateliers Psycho-Lévine, des séminaires ; des publications, la revue « JE est un autre », la Lettre de l’AGSAS, des ouvrages et un colloque annuel.

Annexe 5 : diaporama de Geneviève CHAMBARD

Développer l’esprit critique dès le plus jeune âge :

Approches scientifique et philosophique

OMEP 2017

Plan d’intervention de Geneviève CHAMBARD

 

  • Esprit critique et Philosophie

L’ AGSAS, Association des Groupes de Soutien au Soutien :  Agsas.fr

Différents courants de la Philosophie avec enfants en France :

Matthew Lipman ; Michel Tozzi ; Jean Charles Pettier ; Edwige Chirouter ……… AGSAS

  • Les Ateliers de Philosophie AGSAS : Un cadre sécurisant ; Des objectifs spécifiques

Extrait 1 du film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine « 

  • Statut de l’élève : Une personne du monde ; Interlocuteur valable ; A hauteur d’humanité
  • Posture inhabituelle de l’enseignant

Extrait 2 du film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine « 

  • Rencontre avec l’Autrement que Prévu; L’importance du Croisement des regards
  • Mise en mouvement de la pensée : Débat implicite et Débat explicite

Extrait 3 du film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine « 

  • Estime de soi et Valorisation

Extrait 4 du film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine « 

 

 

Annexe 6 : Le film de Pierre de Nicola « Ateliers de réflexion sur la condition humaine «  est visible en suivant le lien : https://vimeo.com/88590692

Annexe 7 : Présentation des Ateliers de Réflexion Sur la Condition Humaine / A.R.C.H. : Les Ateliers de Philosophie AGSAS, les Ateliers de Psycho-Lévine, la formation, sont visibles en suivant le lien : http://agsas-ad.fr/arch/