Semblables et différents, vivre ensemble dans les structures de la petite enfance – Maryse METRA

Non Par Daniele

La petite casserole d’Anatole (Isabelle Carrier. Bilboquet. 2009)

Semblables et différents, vivre ensemble dans les structures de la petite enfance

Maryse Métra

Psychologue de l’enfance et de l’adolescence
Membre du CA de l’OMEP-France
Vice-Présidente de l’AGSAS

 

Ces notes font suite au débat qui a suivi la projection du court métrage d’Eric Montchaud « Petites casseroles », dans les locaux de la cabane Davout (75020 Paris) le mardi 16 mai 2017 avec la présentation d’albums à partager avec les enfants.

Introduction

La crèche, l’école maternelle, les dispositifs de la petite enfance accueillent des enfants qui sont à la fois tous semblables et tous différents.  Chacun est le fruit d’une histoire, et cette unité se restructure continuellement, au gré de ces histoires singulières.

Comment passer d’une hétérogénéité subie à une hétérogénéité admise et reconnue ?

Comment vivre en harmonie avec des personnes différentes de soi ?

De même que la peur se nourrit de l’ignorance, l’acceptation naît de la connaissance.

Les albums de littérature jeunesse

Les livres ne sont pas imposés, mais proposés. Ils doivent rester un plaisir avant d’être un message, des ouvertures pour penser. Ce que l’enfant a dit, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a entendu dire par d’autres enfants, il le retrouve dans les albums. Et souvent, il découvre des récits de situations qu’il ne pouvait pas imaginer rencontrer un jour…

Dans la rencontre que les enfants ont avec ces livres, ils savent qu’il y a des adultes qui y trouvent de l’intérêt et qui pourront leur lire les textes ou répondre à leurs questions. N’oublions pas qu’il y a deux récits dans ces albums, le récit en texte dont les adultes sont souvent « prisonniers », et le récit en images auquel les enfants sont très sensibles. Je suis toujours surprise par leurs remarques, leurs observations, qui ne font qu’enrichir ma connaissance des albums.

“ Le livre ouvre sur un espace aéré, l’espace de la potentialité et de l’absence, l’espace de la pensée, du rêve et des émotions. En ce lieu élu, à habiter, mieux que nulle part ailleurs, on y apprend de l’autre, de ce qui le fait, le fonde, être humain, de parole, d’histoire et de culture. Et dès lors, on s’y découvre. Ensemble.” Patrick Ben Soussan (2012)

Voici une présentation des albums pour aborder ce thème de la différence.

Beaucoup d’enfants connaissent Elmer, ce petit éléphant multicolore de David McKee (Kaléidoscope) qui voudrait bien être comme les autres. Un jour, il n’accepte plus sa différence et il se peint en gris ; dès lors, plus personne ne rit. Un jour de pluie, il retrouve ses couleurs et sa gaieté.

La petite casserole d’Anatole. Isabelle Carrier. Bilboquet. 2009

Les adultes connaissent l’expression « traîner une casserole ». Pour Anatole, cette expression est à prendre au pied de la lettre. Cet enfant traîne toujours derrière lui sa petite casserole. Elle lui est tombée dessus un jour, on ne sait pas très bien pourquoi ; depuis elle se coince partout et l’empêche d’avancer. Petit à petit les gens ne regardent plus Anatole, ils ne voient que son handicap, et cette casserole l’isole de ses camardes… Devra-t-il donc se cacher toute sa vie à cause de ce hasard malheureux ? Un jour il en a assez et décide de se cacher, de s’effacer progressivement. La rencontre avec une dame va le sortir de son isolement. Elle lui dit qu’elle aussi a une petite casserole et elle lui propose son aide pour qu’il apprenne à vivre avec son handicap ; ce qu’il croit être un défaut a aussi des avantages et cela fonde son identité. En filant une métaphore simple, appartenant quasiment au langage de tous les jours, Isabelle Carrier signe un album pour apprendre à accepter la différence, elle montre aussi que ce qui fonde le changement de la relation au monde d’Anatole passe par le changement du regard que les autres posent sur lui. Après la lecture de cet album, et en fonction de la réception que les enfants en ont, je propose que chacun identifie sa propre petite casserole. Comment faire évoluer en point fort ce qu’on identifie comme étant son point faible ?

Quatre petits coins de rien du tout. Jérôme Ruillier. Mijade. 2004

Je vous recommande tous les albums de cet auteur, et particulièrement celui-ci qui pourrait être présenté dans tous les dispositifs de formation des enseignants afin d’envisager les conditions d’accueil des enfants à l’école. Petit-Carré joue avec ses amis les Petits Ronds, mais lorsque la cloche sonne il ne peut pas rentrer dans la « grande maison » par la porte comme ses amis. Il n’est pas rond comme la porte. Il s’allonge, il se tord, il se plie, et malgré tous ses efforts, Petit-Carré n’arrive toujours pas à entrer. Chacun cherche une solution pour lui permettre d’entrer dans la grande maison : « Tu dois y croire ! disent les Petits Ronds. Comment faire ? Petit Carré est différent. Il ne sera jamais rond. Les Petits Ronds discutent longtemps, très longtemps, et ils comprennent que ce n’est pas Petit Carré qu’il faut changer, c’est la porte ! Ils découpent quatre petits coins de rien du tout, et la porte permet à Petit Carré d’entrer dans la grande maison, avec tous les Petits Ronds.  Cet album permet de réfléchir au vivre ensemble et de lutter contre l’exclusion, en adaptant les conditions d’accueil des enfants et de leur famille.

Un ours comme çi un ours comme ça. Agata Krolak. Rue du monde. 2012

Tous les ours ne sont pas identiques. Il y en a des grands, des petits, des jeunes ; des vieux, des bavards et de timides… mais c’est ensemble qu’ils font le monde des ours.

Le loup vert de René Gouichoux et Eric Gasté (Bayard Jeunesse. 2003) est très connu aussi : être un loup vert au milieu des loups gris, ce n’est pas facile pour Raoul qui n’a qu’une idée : « gris, je voudrais être gris ! » Il essaie toutes sortes de ruses pour devenir gris, mais à chaque fois, il est démasqué. Jusqu’au jour où il rencontre une jolie fée…

Roméo et Juliette de Mario Ramos

Roméo, un éléphant « fort comme une montagne » est déstabilisé et gêné par un trait de caractère :

sa timidité qui le fait rougir Cette couleur devient sujet de moquerie de la part des autres personnages. Roméo est rejeté pour sa différence par les autres animaux et sa communauté.

Malgré sa taille imposante, sa timidité marque sa différence. Il s’isole. Une nuit, il rencontre

Juliette, une souris. L’album montre comment un complexe peut être surmonté quand l’amour vous permet de reprendre confiance.

Il montre aussi que chacun à un moment donné peut être gêné par un trait de sa personnalité et qu’il faut donc être tolérant plutôt que de juger les autres.

« Un livre sur la difficulté à vivre sa différence. La rencontre de Juliette est très importante pour

Roméo parce que c’est la première fois qu’on ne se moque pas de lui et ça change tout. Je voulais raconter l’histoire d’un couple insolite : on se demande ce qu’ils font ensemble… pourtant, ils s’entendent à merveille. Et le plus fort des deux n’est pas celui qu’on croit. » Mario Ramos

Chien bleu de Nadja. L’école des loisirs

Influencée par les nombreux contes entendus dans son enfance, Nadja livre ici un récit en trois temps.

  • Une problématique de départ : Charlotte qui aimerait adopter Chien Bleu
  • Un déclencheur de l’aventure et un développement dans lequel l’héroïne vit des épreuves : le refus de l’adoption du chien par la maman et le pique-nique pendant lequel Charlotte se perd dans le bois au risque de se faire dévorer.
  • Un dénouement heureux : Charlotte retrouve ses parents grâce à Chien Bleu.

Différent, de Jerôme le Dorze. Éd Anna Chanel, 2010.

L’histoire d’une rencontre entre un loup rejeté par sa meute car trop différent de ses congénères, lui qui est romantique et non violent, et d’un mouton rejeté par son troupeau car trop différent de ses partenaires, lui qui est rêveur et qui n’a pas peur des loups…

« Tu n’es pas comme nous. Tu nous fais honte ! Nous ne voulons plus de toi, va t’en ! », voici l’élément déclencheur de l’histoire.

Cet album est basé sur le thème de la différence, mais non pas la différence assimilée au racisme, mais la différence dans l’acceptation d’un personnage au sein des siens, au sein d’une même communauté. Ainsi, l’histoire d’une rencontre entre ces deux protagonistes que tout oppose à première vue débouche sur une amitié sincère.

Okilélé. Claude Ponti. L’école des loisirs. 1993

Claude Ponti attire déjà notre attention par la phonétique du nom de son héros ! Okilélé n’est en réalité pas plus laid que les autres membres de sa famille, mais il ne peut échapper à l’image dévalorisée que les autres lui renvoient. La difficulté à nouer des liens familiaux empêche Okilélé d’acquérir les codes de comportement en adéquation avec son milieu. Succombant au désespoir, il trouve refuge dans le seul lieu auquel sa famille n’a apparemment pas accès, sous l’évier de la cuisine. Avec Martin Réveil qu’il va sauver et réparer, il va entreprendre un parcours initiatique « pour trouver le quelqu’un qui avait besoin de lui ». Okilélé va faire de nombreuses rencontres et il va se transformer progressivement. Faisant pousser une montagne, Okilélé atteint la lumière du soleil, et il devient un être illuminé par son propre petit soleil flottant au-dessus de sa tête. Il a donc atteint ses objectifs : « savoir pourquoi les choses étaient comme ça et pas autrement« , « savoir où était le quelqu’un qui l’attendait » et « avoir les réponses à toutes ses questions« . Il découvre aussi que ses parents sont eux-mêmes victimes de leur propre histoire, et que les causes du malheur étaient extérieures aux murs de la maison familiale. Toute la famille rebâtira la maison « exactement comme avant, sans rien changer« , sous l’œil vigilant d’Okilélé qui, de surcroît, obtiendra la main de la princesse.

Un enfant abandonné par sa famille et en famille d’accueil, dont je me suis occupée à l’école, s’arrêta longuement sur ces dernières images : « Tu vois, me dit-il, la maison elle est toute mal fichue comme l’autre, mais c’est pas grave. Okilélé il va être heureux pour toujours avec son petit soleil qui brille« .

Léo. Robert Kraus et José Aruego. L’école des loisirs. 1972

Léo ne savait rien faire convenablement.  Il ne savait pas lire, pas écrire, pas dessiner. Il ne disait pas un mot.  « Que peut donc avoir Léo ?» demandait son père.  « Il n’a rien », répondait sa mère,   « Léo est lent à s’épanouir, c’est une fleur tardive ».

Le père de Léo laissait passer le temps, mais Léo ne s’éveillait pas. Et puis, tout d’un coup, à son heure, Léo s’épanouit et quand vient la fin de l’histoire, il sait lire, écrire, dessiner. Il sait aussi parler, et la phrase qu’il aime répéter est : « Moi aussi, je sais le faire ».

Ce livre nous rappelle qu’il y a des différences dans les rythmes de développement. C’est ce dont traite également Poulette crevette de Françoise Guillaumond et Clément Oubrerie (Magnard 2001).  Dans un poulailler, naît un jour un poussin aux couleurs crevette. Devenue une belle poulette, Crevette inquiète ses parents, elle ne parle pas, ne jacasse pas. Les parents décident alors d’aller voir la reine des poules. Une seule solution, selon la reine, la poulette a besoin de temps. Le temps passe, et un jour, Crevette finira par chanter aussi, d’un ton différent, d’une autre voix… Cet album aborde aussi les thèmes de la différence et du rythme d’apprentissage de chacun.

Petit-Bleu et Petit-Jaune de Léo Lionni. L’école des loisirs. 1970

Une histoire d’amitié toute simple : un rond bleu, un rond jaune, et d’autres formes. Mais la rencontre entre Petit Bleu et Petit Jaune est mal vue des adultes car ils « déteignent » l’un sur l’autre. Papa-Bleu et Maman Bleu disent : « Tu n’es pas notre Petit Bleu, tu es vert ! « . Peut-on prendre le risque de changer ? Ce livre fait vivre le conflit de loyauté que peut ressentir tout enfant quand il arrive à l’école. A accepter de « se plier » aux codes de l’école ne risque-t-il pas de n’être plus accepté à la maison car on ne le reconnaîtrait plus ?

Un petit frère pas comme les autres de M-H DELVAL et S. VARLEY. Bayard.

Lili a parfois envie de gronder ce petit frère qui semble ne pas grandir. Mais comment aider Doudou Lapin à grandir ? Elle va convaincre ses parents que l’on peut l’aider à progresser. Les réactions de Lili sont décrites avec justesse. Et l’on rencontre tous les partenaires de l’aide : Madame La Pie lui apprend à parler, Monsieur l’Écureuil est un excellent psychomotricien, et Lili rencontre Monsieur Hibou, fin psychologue qui va l’aider à accepter son petit frère avec ses différences « On peut l’aider à grandir et à faire des progrès, même s’il y a en lui quelque chose qui est un peu de travers… ».

Tous pareils. Édouard Manceau. Milan jeunesse. 2008.

On est tous pareils… Mais au fil des pages, les petits rennes héros de cet album, révèlent leurs différences de caractère, leur crainte de n’être pas « comme il faut ». Il faut « s’accrocher aux branches », même quand « on en a plein le dos… ou plein la tête ». On se fait même la guerre, alors qu’à y regarder de près « on est tous pareils ». Nous vous invitons à rejoindre ces petites pensées de sagesse caribou qui permettent aux enfants avec humour d’interroger leur relation aux autres.

Bonne lecture !