De la petite enfance à l’éducation préscolaire en France

Non Par Gilles

Une brève analyse des conditions de mise en oeuvre d’une liaison entre petite enfance
et école maternelle en France
par Gilles Pétreault, vice-président de l’OMEP-France

En France, le passage de la petite enfance à l’éducation préscolaire représente une étape particulièrement délicate, les deux systèmes étant profondément disjoints. Le secteur de la petite enfance est largement financé par les familles avec l’appui de dispositifs d’allocations financières complexes. Il comporte trois grandes modalités, avec les crèches et accueils collectifs, la garde par des assistants maternels agréés et l’éducation au sein de la famille. L’école maternelle est elle gratuite, obligatoire dès trois ans et existe sur tout le territoire national, encadrée par des enseignants rétribués par l’État ; les municipalités sont chargées des locaux, des assistants en classe et de la prise en charge des enfants hors temps scolaire. Deux ministères différents pilotent des politiques qui concernent chacun plus de deux millions d’enfants et des centaines de milliers de professionnels[1]

La continuité éducative et pédagogique pour favoriser l’entrée de chaque enfant dans un nouveau contexte de vie et d’apprentissage est aussi une préoccupation à cette étape. Ainsi, le récent plan d’action pour l’école maternelle[2] incite à développer les initiatives à ce sujet. 

Des actions d’adaptation existent depuis longtemps à l’entrée à la maternelle. Elles portent d’abord sur la relation avec les parents, un volet essentiel au moment où se noue leur relation avec l’école. Outre les réunions d’information et les entretiens individuels, les pratiques préconisées pour les dispositifs de scolarisation des moins de trois ans[3] apparaissent pertinentes pour rendre positive l’arrivée dans un cadre collectif qui est étranger aux enfants dans leur très grande majorité[4]. D’abord, par la relation entretenue avec les parents, avec les échanges d’informations brefs lors de l’accueil, leur présence en classe durant les premiers temps, leur participation à des activités en tout petit groupe. D’autres modalités visent à adapter le cadre scolaire avec des rentrées échelonnées ou une fréquentation pour une durée limitée de la journée durant une période donnée, ou encore à offrir des possibilités de retrait du groupe à l’enfant dans la journée. Un autre volet pour faciliter l’adaptation porte sur la cohérence de l’action des personnels envers les enfants, avec notamment la mise en place de formations conjointes entre enseignants et agents spécialisés des écoles maternelles. 

Des actions coordonnées avec le secteur de la petite enfance devraient aussi pouvoir préparer l’arrivée à l’école. S’agissant des crèches et accueils collectifs, là où la situation est la plus favorable, les obstacles à l’organisation d’actions en direction des personnels et plus encore des enfants sont très importants. On peut ainsi mentionner la séparation physique des locaux, les secteurs de recrutement disjoints, la rareté des crèches qui accueillent 13 % des enfants au regard du nombre d’écoles maternelles qui les scolarisent tous, la disparité des statuts d’emploi, ou bien l’absence de coordination, de cadre d’échange construit entre ministères et de temps institutionnels ou de financements dédiés.

Malgré les encouragements portés par les textes, en dehors de quelques cas où existe une réelle proximité soutenue par une forte volonté des décideurs et acteurs locaux, la relation entre maternelles et crèches reste très limitée. Des personnes très engagées réussissent cependant, par leur travail et la qualité de relations interpersonnelles, à faire vivre des rencontres, des temps de formation et d’échanges entre professionnels. Ces actions constituent autant de victoires en faveur de la continuité éducative.

Il importerait aussi de s’intéresser à la continuité des parcours d’enfants confiés aux assistantes maternelles (19 %), qui passent d’un cadre très personnalisé où ils peuvent être seuls avec l’adulte ou avec quelques autres enfants, à une classe entière. L’avis récent du conseil économique, social et environnemental en faveur d’un « service public de la petite enfance »[5] comprend un ensemble de recommandations pour parvenir à une structuration gérée essentiellement par les communes en relation avec les départements. L’évolution souhaitée des relais petite enfance (RPE), qui regroupent fonctionnellement sur ensemble de communes plusieurs dizaines d’assistantes maternelles, vise à les faire correspondre aux secteurs des écoles maternelles en territoire rural. Une telle organisation pourrait constituer une base pour construire une transition vers l’école. 

Resterait enfin à proposer des actions destinées aux 64 % d’enfants gardés au sein de leur famille. Si des actions avec des centres sociaux peuvent exister çà et là, l’immense majorité d’entre eux découvre l’école au moment des formalités d’admission avec le directeur et surtout le jour de la rentrée. Des adaptations réglementaires pour rendre possible la présence des parents et enfants à la maternelle avant la rentrée, des modalités soutenables d’accueil, des organisations locales pour recueillir les informations et coordonner des actions seraient ici nécessaires. 

Toutes les initiatives favorisant la continuité sont bienvenues et l’énergie dépensée par les acteurs locaux à ce sujet est immense. Mais, pour toucher l’ensemble des enfants, il faudrait adapter les structures et créer des dispositifs de transition, conçus entre ministères, avec des ressources dédiées. Ceci favoriserait des actions de qualité pour mieux « préparer l’école aux enfants et non pas seulement l’enfant à l’école »[6], pour reprendre une formule d’un rapport de l’OCDE à ce sujet. Dans le secteur de la petite enfance comme pour l’école, beaucoup reste encore à faire. 

Gilles Pétreault,

Vice-président de l’OMEP-France


[1] Des éléments statistiques plus précis figurent notamment dans les documents suivants : 

[2] Note de service du 10-1-2023, https://www.education.gouv.fr/bo/23/Hebdo2/MENE2300949N.htm

[3] 9,8 % des enfants de 2 ans sont scolarisés en préélémentaire à la rentrée 2021, soit 73975 (cf. RERS, p. 67). Tous ces enfants ne relèvent pas de dispositifs spécifiques pour les moins de 3 ans, implantés le plus souvent en éducation prioritaire, ou de dispositifs-passerelles, animés conjointement par un enseignant et un éducateur de jeunes enfants, qui sont eux très rares.

[4] Cf. ONAPE, op. cit. pp. 46-47. 

[5] Cf. Conseil économique, social et environnemental, Vers un service public d’accueil de la petite enfance, mars 2022, p. 39. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2022/2022_04_sp_accueil_enfance.pdf

[6] Cf. OCDE (2018), Petite enfance, grands défis V : Cap sur l’école primaire, Éditions OCDE, Paris. https://read.oecd-ilibrary.org/education/petite-enfance-grands-defis-v_9789264300620-fr#page1